Les sphaignes, mousses éponges

Les marécages sont comme de gigantesques éponges qui régulent l’écoulement des eaux. Elle le font principalement par le biais d’un genre de mousses tout à fait étonnantes, qu’on appelle les sphaignes. Le genre Sphagnum compte environ un millier d’espèces de par le monde. Ce nom curieux a donné en wallon le mot de fagne, qui désigne les surfaces marécageuses et les tourbières des hauts plateaux ardennais, les Hautes Fagnes. La fange, un terme plus littéraire que la boue, dérive de la même racine.

Ces mousses peuvent adopter des coloris magnifiques, du vert fluo au jaune et au rouille. Elles poussent en grosses touffes, au bord de l’eau ou même sous eau. Cette plante est toute légère quand elle est séchée, mais peut absorber 20 fois son poids en eau. Les sphaignes sèches ont été utilisées de tous temps comme litière (elle paraît bien douce en effet), comme isolant, pour des mèches de bougies et même des langes. Le professeur van Wassenhove m’a prétendu que c’était le tampon hygiénique du néolithique! Je veux bien le croire!

Plus près de nos péoccupations, ces mousses sont très utilisées en décoration florale.

Comme on peut le voir dans cette vidéo, les sphaignes n’ont pas de racines. Elles s’allongent d’environ 1 cm par an au sommet alors que la base se meurt peu à peu et perd de ses belles couleurs. C’est là qu’elles jouent un rôle prépondérant dans la formation de la tourbe, qui n’est autre qu’un sol formé par la compression de cette matière organique. La tourbe se forme très lentement, au rythme d’environ 1 mm par an. Les sphaignes créent de surcroît un milieu particulièrement acide, rendant les marécages où elles poussent très pauvres en nutriments. Seules quelques plantes sont adaptées à la vie dans une tourbière à sphaignes (sphagnum bog en anglais).

Les bruyères cohabitent volontiers avec les mousses, notamment la callune ou bruyère commune, Calluna vulgaris. Elle pousse souvent ensemble avec la bruyère des marais, Erica tetralix. Celle-ci se reconnaît par ses fleurs réunies dans un petit bouquet terminal de clochettes rose pâle.

Une très jolie plante, répandue dans les landes tourbeuses, est la narthécie des marais, Narthecium ossifragum. En été, au dessus des touffes de feuilles ressemblant à de l’herbe, se dressent de beaux épis de fleurs jaunes. A l’automne apparaissent des capsules orange vif. Le curieux épithète ossifragum, littéralement ‘qui casse les os’ fait l’objet de diverses théories. L’une d’elles prétend que les moutons qui en mangent auraient les os plus fragiles (peut-être par manque de calcium vu que cette plante est extrêmement acidophile).

Le potamot à feuilles de renouée, Potamogeton polygonifolius, est une plante qui pousse en eaux peu profondes, particulièrement acides. Elle semble flotter comme un petit nénuphar mais produit seulement une petite inflorescence verts, plutôt insignifiante.

Dans ce milieu si pauvre en nutriments, certaines plantes ont trouvé la solution: elles sont carnivores! On trouve communément deux genres de petites plantes carnivores (il faut avoir les yeux au ras du sol pour les voir): les Drosera et les Pinguicula. Les Drosera, dont il existe plusieurs espèces, présentent des petites feuilles hérissées de poils rouges qui ont l’air d’avoir capté des gouttelettes d’eau. Le nom commun anglais est d’ailleurs sundew, littéralement ‘rosée de soleil’. En réalité il s’agit d’un mucilage collant qui en font des brosses à encoller les insectes, dont les petits moucherons infernaux de l’Ecosse, les midges. Pinguicula vulgaris, la grassette commune, se repère facilement car on dirait une étoile de mer vert fluorescent sur la tourbe. En été, elle produit une petite fleur violette au bout d’une tige droite d’une dizaine de cm. Ici aussi, l’intérieur des feuilles est couvert de glandes collantes qui piègent les insectes. Arme supplémentaire: les feuilles peuvent s’enrouler un peu sur la proie. Dès qu’une victime est engluée, d’autres glandes se mettent à sécréter un liquide qui digère l’organisme, fournissant notamment de l’azote à la plante.

Dans ces landes désolées il n’y a peut-être pas une plante qui dépasse la hauteur de vos genoux, mais que de vie passionnante dans ce microcosme! Il n’y a pas que les arbres qu’il faut vénérer.

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