Pousser comme une asperge

Voici un légume qui a constitué un repas de roi depuis des millénaires. Les égyptiens l’ auraient consommé il y a 3000 ans et les romains en étaient friands. La domestication de l’asperge remonte donc très loin. Revenant chaque printemps dans nos assiettes, ce légume reste une délicatesse de luxe. Cet aliment était suffisamment précieux pour être le sujet exclusif d’une nature morte de Adriaen Coorte, peinte en 1697 et exposée au Rijksmuseum à Amsterdam.

Rien ne vous empêche de cultiver vos propres asperges pour les déguster fraîches en quantité. Une fois qu’elles poussent, elles poussent … comme des asperges! On peut faire compliqué (les blanches), mais on peut aussi faire simple (les vertes).

Tout d’abord, il faut se procurer ce qui s’appelle des griffes d’asperges, c’est à dire des sortes de rhizomes qu’on peut trouver en jardinerie au printemps, moment de la plantation. Il convient de creuser un bon trou ou une tranchée et d’y faire un monticule de terre sur lequel on dispose la griffe avec les racines tout autour. Les bourgeons devraient se retrouver à 5 cm sous le sol environ. Tout bon sol de potager convient à condition qu’il soit drainant. A moins d’avoir un sol sablonneux, on peut ajouter une bonne quantité de sable. L’enrichir en compost est toujours bon.

Vous avez bien vu, je plante ici des asperges violettes! Tant qu’à faire, autant en essayer de moins courantes! Il existe différentes variétés d’asperges adaptées à différents modes de culture.

Marquez l’emplacement de chaque plant par un bambou. La première année, la griffe ne produira qu’une ou deux maigres asperges, qu’il ne faudra surtout pas couper. En revanche, il faut maintenir le terrain désherbé et propre pendant deux ans avant avant de procéder à sa première récolte la troisième année. Une aspergeraie met du temps à démarrer, mais ensuite elle peut durer jusqu’à 10 ans.

La reine des asperges est l’asperge blanche; en fait une asperge verte qui ne voit pas la lumière du jour. Pour obtenir ce résultat, il faut ‘butter’ la plante dès la fin de l’hiver en constituant un monticule de terre d’une cinquantaine de centimètres de haut et de large au-dessus de la plante. Élever une telle butte sur une bonne longueur est un travail laborieux, sauf si le terrain est vraiment meuble et sablonneux, raison pour laquelle certains régions conviennent mieux que d’autres à la culture de l’asperge blanche. Aujourd’hui, ce sont des machines qui forment les buttes pour la culture commerciale. De plus, ces buttes sont couvertes de plastic pour les protéger. Dès que la pointe de l’asperge émerge, elle devient d’abord violette, avant de virer au vert. Pour le jardinier amateur, s’il veut vraiment avoir des asperges blanches, il doit lisser parfaitement sa butte et l’inspecter tous les jours. Dès que la surface se craquelle il pourra déterrer l’asperge. Pour ne pas gratter sa butte comme un chien terrier, on utilise ce qui s’appelle une gouge à asperges, un instrument allongé permettant de déterrer l’asperge et de la couper à la base.

L’asperge blanche demande plus de travail à produire, mais aussi à consommer, car la tige doit être pelée, faute de quoi elle est fibreuse.

Elle se consomme cuite à la vapeur ou bouillie, accompagnée de sauce hollandaise ou ‘à la flamande’ avec des oeufs durs et du beurre fondu. Les tiges s’utilisent en potage: la délicieuse crème d’asperges.

Si on veut s’économiser du travail au potager, si sa terre n’est pas idéale et si on aime l’Italie, on cultivera plutôt l’asperge verte (ou la violette). Celle-ci n’a effectivement pas besoin du buttage et se coupe dès qu’elle atteint une trentaine de centimètres hors sol. En fonction du temps, la récolte commence en mars-avril. Traditionnellement, elle se termine au solstice d’été quand on laisse les turions se développer . (Turion est le terme précis pour les pousses d’asperges que les cruciverbistes connaissent bien). La plante poussera jusqu’à plus d’un mètre et jaunit à l’automne, moment où on la recoupe au niveau du sol.

Outre sa facilité de culture, l’asperge verte a l’avantage qu’elle ne doit pas être pelée. Les italiens la consomment cuite à la vapeur, assaisonnée d’un peu d’huile d’olive et de parmesan râpé. Elle entre dans de nombreuses préparations dont bien sûr les pâtes et le risotto.

Si certains turions vous ont ‘échappé’, ce qui arrive toujours, on peut encore se rattraper en prélevant les pousses latérales de la tige. L’asperge ne produit effectivement pas de vraies feuilles mais des tiges fines et ramifiées qui y ressemblent. Ces tiges fines sont comme de mini-asperges, croquantes et délicieuses, même crues. Voilà un plat exceptionnel qui mystifiera vos invités. J’ai appris cet usage en visitant le splendide potager du Château Du Champ de Bataille.

En Italie, où la récolte de plante sauvages est encore très répandue, on consomme les asperges sauvages au début du printemps. Elles sont très fines, un rien amères et poussent un peu partout, même dans les sols rocailleux. Elles se vendent en bottes sur les étals des marchés dans les villages et même en bord de route. La plante s’invite spontanément au jardin, où on l’accueille même si elle n’est pas très belle. Il s’agit de Asparagus acutifolius, dont les tiges flexibles se couvrent de petites aiguilles vertes et piquantes.

Notre asperge cultivée appartient par contre à l’espèce Asparagus officinalis, ce qui révèle qu’elle a des usages médicinaux. On prescrit principalement l’asperge comme diurétique. Elle nettoie les reins et renforce le système immunitaire au printemps. Contrairement à ce qu’on prétend parfois, il n’y a pas de contreindication à en manger souvent … en saison. Ceci m’amène au fameux sujet de ‘l’urine d’asperge’. En métabolisant ce légume, des composants volatils se dégagent, donnant aux urines une odeur caractéristique de soufre et d’ammoniac. On pensait que 40 % de la population ne produisait pas ces urines malodorantes. Depuis peu, la chose ayant été étudiée scientifiquement, il semblerait que tous produisent l’odeur mais que 40 % n’auraient pas les récepteurs olfactifs pour la détecter…

Les chinois attribuent de plus des vertus aphrodisiaque à l’asperge, comme à beaucoup d’autres choses. Nous considérons l’asperge comme appartenant à notre gastronomie européenne, mais nous sommes des nains dans les chiffres de la production mondiale. L’Allemagne, plus gros producteur européen, ne produit que 120.000 tonnes, pour 350.000 au Pérou et plus de 7 millions de tonnes en Chine!

Il existe aussi des asperges décoratives, à cultiver comme plantes d’intérieur ou en pot dans les climats très doux. Voici par exemple Asparagus sprengeri aux longues tiges tombantes. Asparagus densiflorus ‘Myersii’ est un magnifique persistant d’Afrique du Sud qui ressemble à une fougère. Ses petites fleurs blanches sont suivies de jolies baies rouges.

L’asperge divise la Belgique comme nos langues nationales: la Flandre ayant de tous temps été la championne de l’asperge blanche, la Wallonie a décidé de défendre les couleurs de l’asperge verte. Une histoire à la belge!

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