La passion des passiflores

Quoi de plus exotique et sensuel qu’un jus ou mieux encore qu’un sorbet aux fruits de la passion pour rafraîchir une soirée d’été? Grosse désillusion: la passion à laquelle le nom de la passiflore et de son fruit se réfère n’est pas la passion charnelle, mais bien le martyre du Christ en croix! C’est un missionnaire mexicain, le père Emmanuel de Villegas, qui aurait ramené un dessin de la plante à Rome en 1610. Un ecclésiastique, qui travaillait à un ouvrage sur la passion du Christ, y vit aussitôt une signification mystique. A la fin du siècle, un botaniste anglais inspiré par cette symbolique créa le nom de Passiflora, que Linné confirma dans sa nomenclature.

La structure de la passiflore est unique et curieuse et il n’est pas étonnant que le religieux doutât dans un premier temps de l’existence même d’une telle fleur. A ses yeux, le symbolisme était évident. Il y voyait:

  • la couronne d’épines. Le coeur de la fleur est entouré d’une couronne de filaments colorés. Ces rayons voyants servent à attirer les pollinisateurs vers un nectar abondant.

  • les trois clous. Une des structures les plus caractéristiques de la fleur sont les 3 styles portant les stigmates qui captent les grains de pollen. Brunâtres et maculés de taches qui pourraient évoquer des gouttes de sang, ils ressemblent effectivement à des clous.

  • les cinq plaies. La fleur compte cinq étamines munies d’anthères qui portent le pollen jaune. Elles évoqueraient les cinq blessures infligées au Christ, 2 aux pieds, 2 aux mains et une dans les côtes.

Certains y voient d’autres correspondances encore: la colonne qui porte les parties reproductives de la fleur évoquerait la colonne de la flagellation, 5 pétales + 5 sépales égalent les 10 apôtres fidèles, la feuille fait une bonne lance et les vrilles un bon fouet. Bref, la fleur propose une panoplie de torture complète.

Voilà votre cocktail gâché!

Passons vite au jardin où les passiflores font merveille si votre climat est assez doux pour les cultiver.

Nous avons affaire à une liane grimpante originaire d’Amérique du sud, principalement Brésil, Argentine et Paraguay dont la passiflore est la fleur nationale. Par son feuillage léger et élégant, et sa capacité à s’arrimer par des vrilles, cette grimpante est idéale pour couvrir une pergola, une clôture ou même garnir une façade en cachant une gouttière, un paratonnerre ou quelques fils disgracieux.

La floraison s’étale sur plusieurs mois. Bien que chaque fleur ne dure pas plus de trois jours, chaque matin en révèle de nouvelles.

Le seul défaut est que nous avons affaire à de grandes frileuses. L’espèce la plus résistante, Passiflora caerulea, la passiflore bleue, succombe en dessous de -5 °C et nécessite un sol sec.

Cette dernière espèce a un magnifique feuillage profondément lobé. A la base de chaque feuille se trouve une vrille qui permet à la plante de s’agripper à tout, même à une petite fissure dans la pierre. Ceci est très commode, car moyennant l’installation de quelques fils ou d’un treillis de départ, il ne sera plus nécessaire d’attacher la plante qui grimpera toute seule. Dans les forêts tropicales, elle s’élance dans les arbres et peut atteindre 25 m de haut.

Dans l’espèce Passiflora caerulea, qui est la plus répandue et la plus fiable, il n’y a pas un grand choix de couleurs. ‘Purple Passion’ est bien violet, ‘Constance Eliott’ est une très belle variante blanche, et ‘Amethyst Lavender Lady’ est une excellente sélection rose violacé.

Pour cultiver les vraies merveilles du genre, il faut un jardin complètement à l’abri du gel ou une serre. Toutefois, comme ces plantes poussent très vite, on peut les traiter en annuelles. Une des plus fascinantes est Passiflora alata, nommée pour ses tiges à section carrée ailées. Avec ses fleurs pendantes rouge vin et ses filaments striés pourpre et blanc, elle fait penser à une méduse. Un cultivar acheté avec une étiquette approximative m’enchante par ses filaments bouclés violet vif. Ce pourrait être Passiflora incarnata.

Ces fleurs merveilleuses, pollinisées par les butineurs à longue trompe, seront bientôt suivies par des fruits très décoratifs. La passiflore bleue donne de grosses baies oranges, produites sur une longue période. Elle contiennent une masse de graines rouges qui se ressèment facilement au jardin, mais le fruit est malheureusement tout à fait insipide.

Seule l’espèce Passiflora edulis, la passiflore comestible, produit le savoureux fruit de la passion. Cette baie-là est généralement violet foncé (bien qu’il en existe d’autres couleurs, jaunes notamment), et est connue en Amérique du sud sous le nom de maracuja. A moins de posséder une serre chauffée, ce fruit reste hors de portée du jardinier amateur. Un fruit défendu!

Je conseillerais de tenter de cultiver au moins une passiflore, ne fût-ce que pour faire admirer une de ses fleurs étonnantes et avoir une belle histoire à raconter.

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