Des heuchères pour colorer l’hiver
Voici une success story horticole à priori improbable. Elle part d’une petite plante américaine plutôt insignifiante, une petite rosace de feuilles vertes produisant quelques longs épis de toutes petites fleurs; on ne s’y arrêterait même pas en promenade. Mais ces petits Heuchera, dont il existe de nombreuses espèces dans la nature, ont un jour produit un hybride dans un jardin botanique, et cette apparition spontanée a suscité une fièvre chez les horticulteurs. La surprise date de 1980: un spécimen au feuillage pourpre apparaît près du palais de Kew, dans le jardin botanique eponyme, aux portes de Londres. L’anomalie suscita admiration et excitation et fut nommée en conséquence ‘Palace Purple’. Ce fut le début d’une ruée vers l’or. Aujourd’hui, les heuchères sont un phénomène de mode fulgurant; plus de 200 variétés aux couleurs merveilleuses au catalogue et un lot de nouveautés chaque année. Les fêtes des plantes, comme ici dans les magnifiques jardins d’Aywiers en Belgique, présentent des étals où on ne sait que choisir.
Les heuchères se prêtent particulièrement bien à la culture en pot, notamment grâce à une bonne tolérance à la sécheresse. Elles permettent de réaliser des potées durables, pouvant rester en place plusieurs années, été comme hiver. En été, les longs épis de clochettes légères voltigent au-dessus des feuilles. De l’automne au printemps, les couleurs vives des feuillages font un effet aussi coloré qu’une masse de fleurs. Il suffit de couper les fleurs fanées et éventuellement quelques feuilles défraîchies pour maintenir un aspect impeccable. Pour des plantations durables, on peut les accompagner de belles graminées, dont les Carex vivaces, de feuillages argentés comme Jacobaea maritima (syn. Senecio cineraria), de sauges ou d’autres vivaces. Dans la dernière potée, j’ai associé H. ‘Wild Rose’ avec Carex oshimensis ‘Ice Cream’ et un Dimorphotheca (marguerite du Cap) violacé pour un plaisir continu et garanti sans limaces.
Là où les heuchères sont vraiment hors du commun, c’est dans la gamme très peu courante des tonalités cuivre, bronze, ambre et ocre. Les contrastes sont saisissants entre les jeunes pousses et les feuilles développées, les nervures, mais aussi entre l’envers et l’endroit du limbe. Celles qui sont étiquetées sont présentées par la Pépinière des Deux Caps (www.deuxcaps.fr), spécialisée en heuchères, agapanthes et hostas. Une bonne adresse en Belgique est la pépinière de plantes vivaces Spruyt (www.plantesvivaces.be). Au départ on connaissait ‘Caramel’, mais aujourd’hui leurs noms font rêver de choses délicieuses: ‘Peach Flambé’, ‘Marmelade’, ‘Champagne’, ‘Pinot Gris’, ‘Goji Berry’, ‘Brownie’…Après ce tout dans les douceurs, on est passé à des noms comme ‘Copper Dinosaur’ et même ‘Bloody Dinosaur’ pour de très belles plantes de plus grande dimension. Ces tons sont parfaits pour des créations plus contemporaines (mes bonnes vieilles terracotta ont 20 ans!) dans des bacs de plantation en ciment ou en acier corten.
La seconde gamme remarquable comprend tous les tons de pourpre, certains aux reflets métalliques et aux veines marquées. Après le classique ‘Palace Purple’, on trouve ‘Black Sea’, ‘Obsidian’, ‘Frosted Violet’, ‘Forever Purple’, ‘Midnight Rose’, ‘Silver Scrolls’, ‘Metallic Shimmer ‘et d’autres.
Ma seule crainte est qu’avec cette offre démesurée, digne de la fast fashion, les heuchères ne soient victimes de leur succès. On les trouvera sans doute un jour de mauvais goût, comme on l’a fait avec les dahlias. En attendant, je prends volontiers ce risque!