Les saules têtards, patrimoine du paysage

S’il y a une chose qui caractérise le plat pays flamand ou hollandais, c’est bien les alignements de saules têtards le long des prairies et des fossés. Tordus par le vent, creusés par l’âge, ces vieux saules deviennent des monuments. Ils avaient autrefois milles usages qui se sont perdus avec la modernité. On ne les considère souvent plus que comme une source de travail; un piquet de clôture en béton est tellement plus simple… Ce sont pourtant des éléments extraordinairement durables du paysage et des refuges exceptionnels pour la diversité. Il faut les protéger, les soigner et même en replanter!

On parle d’arbre têtard dans le cas d’un arbre qui est régulièrement recépé à une certaine hauteur, plutôt qu’à la base, ce qui lui permet de former un tronc coiffé d’une masse de branches. Au fur et à mesure des coupes, la tête de l’arbre s’élargit, ce qui lui donne l’aspect d’un têtard. En France, on parle plutôt de trogne (oui, comme dans ‘sale trogne’!) et de trognage ou d’étrognage pour la taille d’un arbre en têtard.

La conduite en têtard se pratique au moins depuis l’époque romaine et était intensément pratiquée au Moyen-Âge. Elle s’utilisait pour la plupart des essences de feuillus courants: hêtres, chênes, érables, acacias, charmes, tilleuls, oliviers…

En fonction de l’usage, les branches peuvent être coupées avec des fréquences de 2 à 10 ans ou plus, au cours de l’hiver. Traditionnellement, les usages étaient le bois de chauffage et le fourrage. Pour le fourrage, les paysans coupaient des branchages fins avec leurs feuilles pour les sécher et alimenter les animaux en hiver. Des fardeaux de branches un peu plus épaisses étaient vendus aux boulangeries pour les fours à pain. Des troncs plus épais encore donnaient des bûches pour le chauffage ou du bois de construction. Le hêtre et le chêne conviennent toutefois mieux pour ces derniers usages. Les fines tiges de saule servaient aussi à la vannerie et au tressage de clôtures.

Si de vieux sujets ont été négligés pendant des années, comme ci-dessus, on obtient de véritables arbres sur des arbres. La taille nécessite alors des professionnels. La bonne nouvelle est qu’ils sont parfaitement récupérables.

L’arbre souffre-t-il de cette ‘mutilation’? Chose curieuse, tout comme les bonsaï, les arbres têtards vivent plus vieux que leurs congénères sauvages en étant maintenus dans un état juvénile. De plus, ils risquent moins de souffrir du vent et des tempêtes, or les saules sont particulièrement cassants. En Angleterre, on peut visiter la forêt d’Epping, où des hêtres ont été trongnés jusqu’à la fin du 19ème siècle, puis laissés à la nature. Ce sont aujourd’hui des monuments spectaculaires, dont certains ont au moins 800 ans, alors que le hêtre de nos forêts dépasse difficilement les 250 ans.

Les alignements de saules servent pour stabiliser les berges des fossés et délimiter les parcelles. C’est en effet un arbre qui aime particulièrement les milieux humides et peut supporter une inondation temporaire. Ces plantations assurent une barrière contre le vent et prodiguent de l’ombre au bétail. De plus, ces arbres vivants sont les meilleurs piquets de clôture, imputrescibles et gratuits. Le saule a la particularité de s’enraciner avec la plus grande facilité. Pour créer une nouvelle ligne, il suffit de couper des piquets à la hauteur voulue et les enfoncer solidement dans le sol. Dès le printemps suivant, les bourgeons dormants sous l’écorce émettront des branches: un nouveau têtard est né!

Sur le plan écologique, un seul saule têtard est un réservoir de vie extraordinaire. Du côté des végétaux, des mousses, du lierre, des fougères et des épiphytes vont s’installer dans la couronne. Les feuilles qui tombent entre les branches sur la large plateforme de la tête vont se décomposer et former un excellent terreau, plein de champignons et de créatures diverses. La densité des branchages accueille de nombreux nids et les vieux arbres creux peuvent héberger des hiboux à l’étage et de petits mammifères, dont des hérissons, au niveau du sol. La fonction écologique de ces vieux arbres justifie pleinement leur conservation. Même de très vieux sujets tout creux, qui ne semblent plus tenir à la vie que par un fil, peuvent être relancés.

Les jardins privés devenant plus petits et plus formels, on constate un nouvel engouement pour les têtards. Les jardins suburbains en sont remplis: platanes, robiniers, catalpas ou même des liquidambars sont trognés. Bien sûr, dans un jardin, la coupe en boule devra se faire chaque année, ce qui réduit fortement les bienfaits écologiques de l’arbre, la faune n’ayant pas le temps de le coloniser. De plus, je ne peux m’empêcher de penser que les architectes de jardin qui vous proposent ces plantations qu’ils devront revenir tailler et broyer ponctuellement sont surtout en train de s’assurer une rente annuelle. Il existe un choix suffisant de jolis arbres dont l’allure et le développement naturel peuvent parfaitement convenir.

Je me pose aussi des questions sur la valeur esthétique de ces arbres beaucoup moins adaptés au trognage que le saule.

Pour moi, ce robinier a plutôt une vilaine trogne … ou tronche. Je n’aimerais pas devoir regarder cela tout l’hiver!

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