Le Ginkgo serait-il immortel?

La feuille en éventail du Ginkgo biloba est unique et reconnaissable entre tous. Elle est particulièrement belle quant elle vire à l’or à l’automne et a inévitablement inspiré les créateurs et bijoutiers. Sa texture à la fois souple et coriace rappelle le cuir. Nous comprenons vite que nous avons affaire à un arbre qui ne ressemble à aucun autre et, de fait, il est l’unique représentant de sa famille et nous vient de la nuit des temps: un fossile vivant.

Dans les livres de botanique qui présentent les plantes dans l’ordre de leur apparition sur terre, le Ginkgo figure quasiment en première page, juste après les fougères et avant les conifères. On le fait remonter à 270 millions d’années et il y en aurait eu d’immenses forêts il y a 150 millions d’années encore. Il n’en est resté que quelques populations en Chine mais les moines bouddhistes les ont sauvés en les plantant autour des temples dès le 10è siècle. De là, le Ginkgo a suivi le culte au Japon avant d’être introduit en Europe à la fin du 17ème siècle par un médecin botaniste allemand travaillant pour la Compagnie des Indes Néerlandaises. Le nom oriental a été transcrit, ce qui explique qu’on trouve aussi bien Gingko que Ginkgo. Linné reprit ce nom et ajouta l’épithète biloba pour l’échancrure de la feuille. La fascination pour cette nouveauté était telle qu’un monsieur français paya le prix faramineux de 40 écus à un quidam anglais pour acquérir cette rareté. D’où le nom vernaculaire français: arbre aux 40 écus.

Il n’est pas courant de voir de vieux spécimens, mais il faut être conscients que notre ginkgo peut devenir un très grand arbre, atteignant jusqu’à 30m. Un magnifique exemplaire trône isolé sur une place à Salzbourg. On remarquera la beauté de son écorce claire. Ce genre primitif est dioïque, ce qui veut dire qu’il y a des arbres mâles, produisant le pollen (hautement allergisant apparemment) sur de petits cônes et d’autre part des femelles produisant les ovules. La pollinisation se fait par le vent. Ces ovules forment une sorte de noix entourée de pulpe, de la taille d’une cerise, qui en tombant et pourrissant dégage une odeur que certains décrivent comme du beurre rance, d’autres comme du vomi. En conséquence, on vous vendra presque exclusivement des mâles dans le commerce. Le bel exemplaire ci-dessus était cependant femelle.

C’est à l’automne que toute la beauté de l’arbre s’exprime lorsque l’ensemble du feuillage vire uniformément à l’or. Certains l’appellent d’ailleurs l’arbre aux écus d’or. Il est couramment utilisé en Corée et au Japon comme arbre de rue et a même conquis quelles avenues bruxelloises. Vu son développement à maturité et ses branches plutôt raides et erratiques, j’ai quelques doutes sur ce choix à long terme, surtout quand l’espace aérien est envahi par les câbles des trams.

Le ginkgo a, il est vrai, quelques atouts précieux pour la survie en milieu urbain. Son enracinement profond ne soulève pas les trottoirs et il risque peu de tomber par grand vent. Il résiste de plus à la pollution et ne connaît pas de maladies. Des études récentes sur son génome, qui compte trois fois plus de bases que le génome humain, montre qu’il possède de nombreux gènes de défense chimique et bactériologique. Plus fort encore, il semble ne pas vieillir et serait potentiellement immortel.

Il n’est dès lors pas surprenant que les extraits de ginkgo, tant des feuilles que des noix, soient très utilisés en médecine chinoise. Outre les bienfaits des antioxydants puissants que contient la plante, il y a des allégations qu’elle favoriserait la mémoire et la concentration et stimulerait la circulation sanguine.

Si on peut lui trouver des défauts, ce serait d’être trop imposant pour autre chose que les grands parcs et d’avoir un port irrégulier. Les chercheurs ont résolu ces deux problèmes en développant un grand nombre d’excellents cultivars.

D’un géant ils ont fait des nains, dont le charmant ‘Troll’, une petite boule compacte qui ne devrait pas dépasser le mètre en dix ans. Son feuillage en forme de coquillage vire à l’or comme le type. ‘Troll’, un bonsaï naturel, convient parfaitement pour un pot ou un jardin de ville. ‘Globus’, une forme arrondie atteignant 2,50m, peut convenir pour un grand bac.

Côté forme, plusieurs formes fastigiées ou pleureuses vous sont proposées, dont le très beau ‘Fastigiata Blagon’ dont voici un jeune exemplaire en pépinière. ‘Eiffel’ serait aussi très bon. Personnellement, je regrette de ne pas avoir eu connaissance de ces cultivars et d’avoir planté le Ginkgo biloba de base. Un cône élancé de 15m qui devient jaune vif serait un atout pour n’importe quel jardin.

D’autres développements ont porté sur des mutations des feuilles, pas toujours convaincantes d’ailleurs. On retrouve toujours l’éventail mais les lobes peuvent être plus nombreux ou plus échancrés. ‘Vanilla Swirl’ a une variégation blanche et ‘Beijing Gold’ est strié d’or. ‘Saratoga’ a de longues feuilles fines et pendantes, un cultivar élégant.

Le moment le plus poétique du cycle de cet arbre mystérieux est peut-être celui de la chute de ses écus d’or, éclairés par un soleil bas de fin d’automne.

Pour l’anecdote, six arbres de Ginkgo biloba furent les seuls végétaux qui survécurent et repoussèrent dans un rayon de deux km de l’explosion d’Hiroshima. Cette résistance phénoménale leur valut le statut d’arbres immortels.

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