La forêt bleue

Les oiseaux chantent et les rayons d’un soleil printanier filtrent jusqu’au sol de la forêt, littéralement transformé en mer bleue par une colonie dense de jacinthes sauvages. Ce spectacle enchanteur attire des milliers de promeneurs vers les quelques sites où cette floraison est célèbre, notamment le Bois de Halle en Belgique. Mais nous n’en avons pas l’exclusivité! Les tapis de jacinthes des bois sont très répandues en Ecosse et en Angleterre, où ces fameux bluebells sont presque un symbole national et soigneusement protégés par un plan d’action biodiversité, le Bluebell Project. L’aire de répartition de ce bulbe caractéristique des climats océaniques s’étend tout le long de la côte ouest de l’Europe, des Pays-Bas au nord du Portugal.

Il existe des hêtraies et des chênaies à jacinthes, parfois mêlées à d’autres espèces comme des frênes ou des charmes. Cette étonnante association botanique se développe dans les forêts matures qui n’ont pas connu de coupe depuis longtemps. La canopée épaisse des grands arbres empêche la lumière d’atteindre le sol dès la fin du printemps, empêchant de la sorte la pousse de ronces et d’autres plantes aimant le soleil. Les bulbes réalisent un cycle court au printemps et stockent suffisamment d’énergie pour entrer en dormance l’été, l’automne et l’hiver suivant. Si le sol est profond et humifère, acide à neutre, les bulbes peuvent se multiplier au fil des ans sur des centaines d’hectares. Disons-le franchement: ils sont conquérants et envahissants!

Pourtant, lorsque le tapis n’est pas encore trop dense, les jacinthes peuvent partager le sous-bois avec l’anémone sylvie, la ficaire et même les jonquilles sauvages qui font aussi une apparition fulgurante au printemps.

Dans les climats plus frais, les jacinthes sauvages peuvent même se développer dans des milieux ouverts comme dans ce cimetière sur la côte est de l’Ecosse. Les vieilles stèles moussues émergeant des fougères et de ces délicates fleurs bleues et blanches créent une ambiance des plus romantiques.

On parle couramment de jacinthes ou de scilles des bois, alors que, botaniquement parlant, ce bulbe sauvage n’est pas un Hyacinthus ni un Scilla, mais une ‘jacinthoïde’: Hyacinthoides non-scripta. Sur la première photo on voit des Hyacinthus orientalis multiflores bleus, de vraies jacinthes. Dans ce cas, cinq hampes florales ou plus sortent d’un très gros bulbe. La floraison intervient dès mars et est extrêmement parfumée. Ces jacinthes multiflores, moins courantes que les grosses jacinthes habituelles, font d’excellentes plantes de parterre, reviennent d’année en année et ne sont pas envahissantes. Hyacinthoides non-scripta est d’un bleu violacé plus foncé et se distingue par ses hampes florales semi-pendantes (on voit parfois les nom de scilles penchées). La fleur n’est en revanche que très faiblement parfumée. Les feuilles vert vif et étroites sont moins dressées et s’étalent sur le sol.

Il en existe dans la nature une version blanche (visible dans le cimetière) et une version rose a été sélectionnée. On peut acheter des mélanges de semences des trois couleurs.

Il y a une distinction importante à faire avec une espèce voisine, très courante dans nos jardins mais pas sauvage chez nous, la scille d’Espagne, Hyacinthoides hispanica. Elle n’a pas les racèmes penchés mais bien droits sur une tige bien plus épaisse et plus haute. Le bleu est plus pâle. Cette espèce est indigène dans une aire plus méridionale, s’étendant du Portugal le long de la côte ouest de l’Espagne et jusqu’en Afrique du Nord. Cette ‘grosse soeur’ de notre petite jacinthe des bois a été largement introduite dans nos jardins, où elle est très envahissante et s’échappe volontiers vers la nature environnante. Non-scripta a hispanica se sont d’ailleurs hybridisés. La jacinthe d’Espagne est cependant un vrai atout dans les parterres printaniers. Elle est précieuse comme fleur à couper bleue alors que ni les tulipes ni les narcisses n’offrent cette tonalité. Sur cette photo, prise également en Ecosse, on la voit naturalisée en sous-bois. L’effet est joli mais plus pâle et plus massif qu’avec la jacinthe indigène.

Pouvez-vous rêver d’un bois bleu chez vous?

Absolument, si vous avez ne fût-ce qu’un grand arbre, hêtre, chêne, châtaignier par exemple, dont le pied est dégagé et où vous avez laissé les feuilles s’accumuler. Un parc avec quelques vieux arbres ou un bois mature qui n’est pas envahi de ronces est évidemment idéal. Pour des raisons écologiques, soyez très attentifs à vous procurer la jacinthe indigène, Hyacinthoides non-scripta et pas sa cousine espagnole. Comme il est exclu de vous les procurer dans les réserves, il vous faudra trouver un jardinier ami et généreux pour démarrer. Il y a deux méthodes:

  • Partir de touffes de bulbes levés dès la fin de la floraison que l’on divise et replante. Il faut veiller à replanter à la même profondeur, couvrant la partie blanche des feuilles. Vu que les bulbes peuvent être très petits, ce travail est fastidieux mais convient pour une petite surface.

  • Faire un semis à la volée à même le sol. Après la floraison, des capsules se forment à la place des fleurs, contenant plusieurs grosses graines noires. après un moment, la tige séchée se renverse et les graines sont projetées autour de la plante mère. Pour récolter ces semences, il faut donc intervenir au moment où les capsules sont bien sèches et ouvertes, mais avant qu’elles ne se soient renversées. Prenez un bol et renversez les tiges dedans: vous aurez bientôt une bonne récolte et n’aurez fait aucun tort au bois de jacinthes.

Pour réaliser un sous-bois tout bleu, la seconde méthode est la plus indiquée. Les semences, éparpilées aussitôt récoltées, ont besoin de la période de froid d’un premier hiver pour germer. La première année une pousse pas plus grosse qu’un brin d’herbe émergera. Il faut compter au moins 6 ans pour que des bulbes assez gros pour fleurir puissent se former. Ensuite, le processus naturel se met en route, les fleurs se ressèment et s’étendent toutes seules. Déjà vous n’êtes plus maître de votre oeuvre. Comptez 10 ans pour commencer à avoir un résultat encourageant, 30 ans pour que la vraie magie opère.

Cela vous paraît long? Vous êtes impatients? Dites-vous que le jardinier n’est qu’une fourmi au service de la dispersion de plantes qui lui survivront et enchanteront les générations futures. Le cimetière écossais nous inviter à une méditation sur le sujet…

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