La taille en nuage, un art japonais

Tout le monde connaît les bonsaï, ces arbres miniatures cultivés sur des vases plats. Pouvant vivre des centaines d’années, ces oeuvres d’art sont travaillées avec patience et précision pour en faire des perfections à contempler longuement.

A une échelle plus grande, dans le jardin japonais, les arbres plantés en terre sont eux-aussi formés, le plus souvent en forme de nuages.

Cet art, car s’en est un, s’appelle le niwaki. Le japonais est une langue affreusement complexe, mais ici le terme est étonnamment simple, composé de deux caractères: niwa, qui veut dire jardin et ki, l’arbre.

Dans ce jardin inspiré par le bouddhisme Zen, ce pin solitaire émerge de son îlot de mousse au milieu d’une mer de graviers ratissés: un modèle d’équilibre et de sobriété.

L’arbre de jardin, contrairement à son frère sauvage, est donc nécessairement taillé. Dans les grands parcs, comme ici à Tokyo, ce sont des centaines d’arbres qui ont été soumis au travail d’autant de jardiniers experts. Cette mode commença avec les samouraï; les pins taillés, puissants et persistants, étaient le symbole même de leur pouvoir.

La taille en nuage consiste à former des coussinets, généralement au bout des branches. L’effet recherché est de copier la forme de l’arbre dans la nature, telle qu’il peut pousser sur les rochers, s’incliner balayé par le vent ou se pencher au-dessus d’un plan d’eau. La transparence et la profondeur sont importantes mais l’asymétrie et l’imperfection font partie de la philosophie. De la sorte, on peut voir des spécimens aux contorsions étranges. Les vieux sujets, fragilisés, ne sont pas supprimés mais soutenus par des béquilles et des haubans.

A l’approche de l’hiver, avant les chutes de neige qui peuvent être très importantes, des systèmes de cordages spectaculaires sont mis en place pour soutenir les branches en porte-à-faux des vieux pins. Ces structures étonnantes se trouvent dans le célèbre jardin Kenrokuen, à Kanazawa, sur la côte ouest du Japon.

Que ce soit dans les jardins des temples ou dans de minuscules cours privées, les petits nuages bourgeonnent partout. Vous remarquerez les fameuses échelles japonaises tripodes, excellentes pour ce travail et que l’on trouve maintenant sur le marché européen.

En plus de la formation de plateaux, des jardiniers experts, armés de gants blancs et de petits ciseaux, suppriment une partie des aiguilles de pin pour ajouter de la légèreté. Un toilettage laborieux…

Quelles sont les espèces qui se prêtent à cette taille rigoureuse? Au Japon, on recourt généralement aux arbres qui poussent dans l’environnement naturel, des espèces botaniques donc, plutôt que des cultivars horticoles. Les persistants sont privilégiés, le pin japonais Pinus thunbergii, en première place, mais aussi Cryptomeria japonica et le très beau Podocarpus macrophyllus, le pin des bouddhistes aux feuilles en lanière. Le troène du Japon, Ligustrum japonicum et le camélia sont également soumis à ce traitement, au détriment de leur floraison. Les érables, Acer palmatum, ayant déjà par nature un port étagé, sont parfois travaillés de la sorte. A la chute des feuilles, leur forme est exaltée.

Un spécimen taillé en niwaki peut tout à fait trouver sa place dans nos jardins. Il crée un point focal dans un petit espace, ajoute une fantaisie à la rigueur des haies ou simplement une note exotique. La taille met en valeur les troncs tourmentés des pins et la magnifique écorce orangée de Luma apiculata.

Si l’aventure vous tente, vous pourrez trouver des sujets prêts à l’emploi en pépinière. Vu le travail nécessaire pour obtenir cette taille complexe, ne vous étonnez pas du prix: on démarre autour de 1500 euros. Les espèces utilisées sous nos climats diffèrent un peu de ce que l’on trouve au Japon. Outre le pin, l’if répond très bien à cette taille, de même que le buis qui n’est malheureusement plus un choix prudent. Dans les persistants, on trouve le houx, dont le houx japonais Ilex crenata (il leur faut plus qu’une taille annuelle), le genévrier, le chêne vert et l’osmanthe. En Méditerannée, l’olivier est un grand favori. Dans les arbres caducs on propose les érables japonais, le charme ou l’orme à petites feuilles. En réalité, toute plante qui supporte une taille drastique peut convenir.

Il est beaucoup moins difficile qu’on ne pense et fort satisfaisant de réaliser soi-même son propre niwaki, à partir d’un arbre ou arbuste existant. J’en ai fait l’expérience avec une branche d’if et un orme à petites feuilles, Ulmus parvifolia. Ce dernier a près de 20 ans et embellit chaque année. Identifiez les branches les plus tourmentées que vous souhaitez rendre visibles et épluchez toutes les pousses latérales. Les premières années, elles repousseront vigoureusement, surtout chez l’if, mais après quelques années ce phénomène s’arrête. Gardez des touffes au bout des branches et formez les peu à peu en plateaux. Nous faisons une seule taille annuelle à la fin de l’été.

Il ne faut pas abuser des bonnes choses! Si la taille en nuage peut exalter les formes, inspirer le calme et l’harmonie, elle peut aussi dénaturer un végétal.

Je ne puis m’empêcher d’ajouter cette photo de mes enfants prise en Thaïlande 2002 . Ces excès me paraissent bien loin de la délicatesse de l’art japonais!

Précédent
Précédent

Le Micanthus,une graminée aussi utile qu’élégante

Suivant
Suivant

Les Physocarpus, entre diablotins et angelots