Jelena et les Hamamelis, une histoire d’amour
De grands arbustes qui fleurissent de janvier à mars, indifférents à la neige et à la glace, et qui de plus diffusent sur de longues distances un parfum subtil, cela tient de la magie ou plutôt de la sorcellerie. Si en latin on les appelle Hamamelis, leur nom commun est noisetier des sorcières (witch hazel en anglais). Le bois et les feuilles de ces buissons ont quelque ressemblance avec le noisetier. Les fleurs particulièrement curieuses, formées de 4 pétales en rubans plus ou moins enroulées, évoquent peut-être des griffes de sorcière.
Il en existe cinq espèces, dont 3 américaines, mais ce sont l’espèce japonaise, Hamamelis japonica et la chinoise, Hamamelis mollis, qui sont les plus connues. Le croisement des deux dernières a produit l’hybride H. x intermedia, d’où descendent les plus belles sélections horticoles. Ces plantes étaient connues au 19ème siècle, mais leur popularité dans les jardins est relativement récente. Nous la devons en grande partie aux travaux, longs et déterminés, du couple Robert et Jelena De Belder, propriétaires de l’Arboretum de Kalmthout au nord d’Anvers. J’ai eu le privilège de publier un livre en leur mémoire, retraçant leur contribution remarquable à la botanique.
Un jour de juillet, Jelena prit donc une bicyclette et parcourut les 18 km la séparant de Kalmthout. Elle posa le vélo contre la haie, l’enjamba et s’introduisit dans la propriété. Elle y tomba nez-à-nez avec un homme passablement poussiéreux et pieds nus et le prit pour le jardinier. Pleine d’enthousiasme, elle manifesta tout son intérêt et sa formidable connaissance des plantes avec son lourd accent slave. Ce n’est qu’après la visite, quand le jeune homme l’invita dans la maison pour un café, qu’elle comprit qu’elle avait eu affaire au propriétaire: Robert De Belder. Lui et son frère Georges venaient de reprendre la pépinière abandonnée d’Antoine Kort, qui avait connu son heure de gloire et regorgeait encore de plantes mères rares.
Ils allèrent vite en besogne: Robert et Jelena se marièrent avant la fin de l’année. Lors de leur première rencontre, la jeune femme expliqua qu’elle avait appris à bouturer les hamamélis. En guise de démonstration, elle boutura quelques uns des spécimens trouvés dans la pépinière. Robert promit que si les boutures s’enracinaient, il donnerait son nom à la plus belle sélection orange. Au retour de leur voyage de noces, un 21 janvier, les boutures avaient réussi et Robert prit un rameau couvert de fleurs cuivrées pour la faire baptiser par la Société d’horticulture à Londres. C’est ainsi que nacquit Hamamelis ‘Jelena’, un des plus beaux parmis les hamamélis cuivre et resté un des plus populaires.
Jelena et Robert s’embarquèrent dans un long travail de sélection et d’amélioration de ces arbustes encore très rares sur le marché. Un de leurs objectifs était d’obtenir des plantes à fleurs rouges, alors que les espèces naturelles sont généralement jaunes. Le processus peut être fort long et le résultat n’être probant qu’après 20 ans. Un exemple, sur 2500 semis repiqués d’un croisement qu’ils pensaient prometteur, il n’y en eut que deux qui exprimèrent le pigment rouge. Les jeunes plantes prenant beaucoup de place, le couple De Belder acquit une vaste propriété, Hemelrijk, où elles pouvaient être plantées en pleine terre pour étudier leur comportement dans la durée.
C’est de la sorte que furent obtenues les fleurs magnifiques ci-dessus: (dans l’ordre) ‘Diane’, là première obtention rouge, nommée pour leur fille, ‘Robert’, et ‘Ruby Glow’. Plus tard, une seconde génération produisit un rouge bordeaux exceptionnel qui fut nommé pour la fille aînée de Diane, ‘Livia’.
‘Pallida’ d’un beau jaune pâle, ‘Rochester’ orange, et tant d’autres bonnes sélections vous sont proposées. Mon conseil est les acheter en fleur, autrement dit maintenant, pour être sûrs de votre achat; tout est subtilité chez l’Hamamelis!