La disette de fin d’hiver

Au potager, l’automne est la saison de l’abondance et elle se prolonge loin dans l’hiver. La vraie période de disette est en réalité la fin de l’hiver et le début du printemps. Les semis de la nouvelle saison sont lancés mais, en attendant les futurs primeurs, petits pois, laitues, radis et carottes, la récolte est maigre ou inexistante. D’année en année, j’essaie de parfaire cette ‘soudure’ des saisons. Voici quelques résultats de mes expériences.

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Le poireau est une valeur sûre pour l’hiver à condition d’en planter en suffisance. Résistez à la tentation de tout manger avant Noël et vous en aurez jusqu’à fin mars. A ce moment là les poireaux commenceront à monter en fleur.

Il existe des poireaux d’été et d’hiver. Ces derniers se repiquent vers mi-juillet pour la récolte d’hiver. Butter les plants et les couvrir d’une bonne couche de feuilles mortes ou de paille les protègera du froid.

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Certains légumes améliorent avec le froid et c’est le cas du panais, Pastinaca sativa. Cette longue racine blanche est apparentée à la carotte et au persil. Elle peut parfaitement rester en terre, même par temps de gel, et se récolte au fur et à mesure des besoins. Vous pouvez voir comme le feuillage est encore sain et intact mi-mars. D’ailleurs, si vous laissez les racines en terre quelques mois encore, la plante produira de magnifiques ombelles jaunes, à 1.50m de hauteur. Ne vous laissez pas tromper par l’aspect anémique de cette racine, elle est une source inestimable de nutriments, plus riche encore que la carotte. Elle forme la base des pots-au-feu, des plats de légumes rôtis et bien sûr des potages. Un légume d’hiver indispensable.

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Dans la même famille, voici le persil tubéreux, assez peu cultivé. Sa racine est nettement moins volumineuse mais son goût est très prononcé et relève à merveille les potages. Son feuillage est excellent et remplace avantageusement le persil qui souffre nettement plus du froid.

Le topinambour est un tubercule qui peut aussi rester en terre et se récolter l’hiver. Il n’est pas toujours populaire car il provoque des flatulences…

La grande mode du moment chez les foodies sont les choux dits ‘kale’. En réalité, ces choux frisés et non pommés n’ont rien de nouveau; ce sont même parmis les choux que l’on cultive depuis la nuit des temps. En néerlandais on les appelle boerenkool, ou ‘chou paysan’ ce qui est nettement moins trendy que kale , leur nom anglais (qui se prononce keil et pas cale d’ailleurs). La raison de l’engouement soudain pour les inclure dans toutes les recettes possibles, crues ou cuites, du smoothie au wok, est qu’on leur a trouvé des qualités nutritionnelles exceptionnelles, anti-cancer et anti-oxydant en prime. Une chance pour ces choux dénigrés comme légume du pauvre et dont il existe des variétés magnifiques qui risquaient de tomber dans l’oubli. Leur particularité est qu’en fin d’hiver, quand les choux blancs et rouges auront succombé au gel, les choux frisés repartent de plus belle, formant des touffes de jeunes feuilles délicieusement tendres. On comprend que c’était là une ressource précieuse dont les paysans ne pouvaient se passer. Ici vous voyez la sélection ‘Frostara’ verte (excellente repousse printanière) et le grand ‘Black Magic’ pourpre, une amélioration de la variété ‘Redbor’.


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Toujours chez les choux, je cultive avec bonheur les brocolis à jets. On les appelle parfois brocoli asperge. Ils se sèment mi-juillet et se repiquent en septembre, en serre ou en pleine terre. Il ne forment pas une grosse fleur unique mais de nombreux petits jets délicieux dès février/mars. La production n’est pas très longue mais très bienvenue dans ces mois creux. Ils sont proches de ce que les italiens appellent cima di rapa, un grand classique pour la pasta. Ces jolis jets violets sont produits par la variété ‘Rioja’ que je recommande chaudement. La couleur disparaît malheureusement à la cuisson.

A la sortie de l’hiver, on ressent un grand besoin de vert. Heureusement, quelques jeunes feuilles croquantes permettent déjà de préparer une belle salade. L’oseille, plante vivace, revient fidèlement chaque année et son goût acidulé réveille les papilles.

La mâche, semée en fin de saison, résiste même à une couche de neige en hiver. Les variétés à petites feuilles rondes me paraissent plus résistantes aux intempéries que celles à plus longues feuilles, même si elles sont un peu plus difficiles à nettoyer.

Un légume que j’ai appris à connaître récemment est la claytone de Cuba, Claytonia perfoliata. On l’appelle aussi pourpier d’hiver, un nom fallacieux car elle n’a rien à voir avec le pourpier en dehors de sa feuille un peu grasse. Ces rosettes de petites feuilles en forme de coeur sont apparues dans mon potager au hasard d’un mélange de salades d’hiver et se sont ensuite ressemées spontanément un peu partout. Elles apparaissent dès la fin de l’hiver et étonnamment, bien que succulentes, elles adorent le froid et l’humidité, une aubaine pour nos terres lourdes et détrempées. Les feuilles se mangent crues ou cuites, commes des épinards. Si ce légume est peu connu chez nous, c’est que la plante est originaire des hauteurs de Californie. Les américains l’appellent miner’s lettuce, ou laitue des mineurs, car lors de la ruée vers l’or, les orpailleurs en mangeaient pour se protéger du scorbut. Dans ce cas précis, j’avoue que la globalisation des plantes a du bon.

La serre, l’appui de fenêtre de la cuisine et la nature viennent aussi à la rescousse pour nos besoins d’hiver.

Dans la serre, je cultive la roquette sauvage à petite feuille, Diplotaxis tenuifolia, en culture perpétuelle, c’est-à-dire que je laisse les plantes en place d’année en année en les recoupant régulièrement à ras. En conséquence les feuilles repoussent dès la fin de l’hiver et elles sont particulièrement bonnes et pas trop piquantes, parfaites pour une tagliata.

Le cresson alénois se cultive dans la cuisine, sur un substrat qui ne doit pas nécessairement être de la terre. Une couche d’ouate ou quelles feuilles de papier de cuisine mouillés suffisent. Les graines semées bien serrées germent en quelques jours, pour le plus grand bonheur des enfants. On trouve d’autres semences qui peuvent être germées de la même manière et mangées en mini-feuilles.

Côté nature, c’est le moment de retourner à nos origines de cueilleurs: les premiers pissenlits, les jeunes pousses d’ortie et l’ail des ours offrent tout ce qu’il faut pour nous détoxifier et nous reminéraliser pour bien commencer l’année. Un vaste sujet futur … Voici aussi les petites violettes sauvages, délicieusement parfumées. On peut en manger les feuilles, crues ou cuites, et les fleurs. Ceux qui ont la patience peuvent cristalliser les fleurs en les plongeant dans du blanc d’oeuf battu puis du sucre en poudre fin. Elles ajoutent une note délicate et colorée à la salade.

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Voici ces ingrédients réunis dans un bol vitaminé. Dans le sens des aiguilles d’une montre: chou ‘Black Magic’, chou perpétuel, violette, cresson, roquette, claytone, mâche et moutarde ‘Purple Frills’.

Avec ces quelques valeurs sûres on peut essayer de tirer parti de son potager toute l’année ronde et répondre au défi de vivre dans une certaine autarcie. Avec l’assurance, me direz-vous, du supermarché au coin de la rue…

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