La tulipe noire, matière à roman

Quand la tulipomanie s’empara des Provinces-Unies au 17ème siècle, la recherche de la tulipe noire fut comme la recherche du sacré graal; la poursuite obsessionnelle de l’inaccessible, de l’ineffable beauté. Une folie incompréhensible pour une fleur divinisée. ‘Ce fut à cette époque que la société tulipière de Haarlem proposa un prix pour la découverte … de la grande tulipe noire et sans tache, problème non-résolu et regardé comme insoluble’ raconte Alexandre Dumas.

J’avoue avoir toujours eu moi-même une attirance particulière et inexplicable pour les plus macabres parmi les tulipes et en ai planté un grand nombre dans mes parterres. Aujourd’hui la tulipe noire ne vaut plus ce prix exorbitant de cent mille florins et se trouve dans tous les catalogues au même prix qu’une vulgaire rouge ou jaune. Elle garde cependant toute sa fascination et de belles variétés aux pétales sombres et veloutés ajoutent sans aucun doute un accent majeur aux parterres.

Toute ma génération a lu le roman d’Alexandre Dumas dans la célèbre bibliothèque verte. Les adolescents y voyaient une bonne histoire de cape et d’épée, appréciant sans doute trop peu la belle langue de Dumas, pleine d’ironie et de philosophie. L’action se situe en l’année 1672, dans les Provinces-Unies, où le jeune Guillaume d’Orange essayait d’établir son autorité sur les provinces du Nord pendant l’effroyable guerre que Louis XIV menait dans ces contrées. Intrigues, haines et trahisons en sont le ressort.

Le jeune Cornelius Van Baerle, dégoûté par la vie politique et militaire dès l’âge de 28 ans, trouve son bonheur en consacrant sa belle intelligence et son immense fortune à la production de tulipes exceptionnelles. Son voisin Isaac, un petit bourgeois de Dordrecht que Dumas décrit comme ‘monomane tulipier’, avait connu certains succès dans cette activité jusqu’à l’arrivée de Cornelius. Une jalousie maladive s’empare de lui, culminant au moment où il soupçonne que son illustre voisin serait sur le point de produire l’impossible: la tulipe noire. Félon, il parvient à faire impliquer l’innocent dans un sombre complot et à le faire jeter dans un cachot à La Haye, condamné à une exécution certaine. Cornélius a juste le temps de se saisir et de cacher sur lui trois caïeux de sa plus précieuse tulipe. Cet homme qui n’a que douceur et amour des plantes, touche le coeur de la charmante fille du geôlier, qui s’appelle, comme par hasard, Flora. La suite est roman, un triangle amoureux entre le prisonnier, la fille du geôlier et une promesse de fleur. Et la moralité de l’histoire est que l’amour et les fleurs peuvent fleurir même entre 4 murs.

Du pourpre le plus profond au violet le plus sombre, on ne fera jamais que s’approcher du noir jais véritable. Pourtant, les producteurs poursuivent le vieux rêve et mettent régulièrement sur le marché une nouvelle variété ‘noire’ au nom évocateur.

‘Queen of the Night’ est une des plus faciles à trouver et une des plus élégantes dans sa simplicité. C’est une tulipe simple, de la catégorie dite tulipes triomphe, haute et tardive, ce qui veut dire une floraison dans la première quinzaine de mai. Elle est solide et tend à revenir plusieurs années de suite (pour peu que vous n’ayiez pas de mulots!). Les bons producteurs de bulbes, tels que Nijssen Bulbs, indiquent si la variété est pluri-annuelle. ‘Café Noir’ serait plus grosse et plus brillante encore que ‘Queen of the Night’ mais je ne l’ai pas essayée. ‘Continental’ a la particularité de fleurir plus tôt et d’avoir les tiges noires également.

Dans la catégorie des tulipes doubles, appelées aussi tulipes pivoines, une des plus sombres est ‘Black Hero’. ‘Negrita’ a une robe de véritable satin pourpre. ‘Blue Diamond’ et ‘Uncle Tom’ relèvent de la même palette. Ces boules opulentes sont d’excellentes fleurs à couper.

Les tulipes perroquet, avec leur formes baroques et leur pétales déchiquetés, font partie d’une catégorie à part. Il en existe une seule dans les tons sombres qui, sans surprise, s’appelle ‘Black Parrot’.

La catégorie des tulipes à fleur de lys se caractérise par des fleurs élancées, à pétales en pointe, leur donnant un aspect souple et élégant. Elles n’ont pas la raideur habituelle des tulipes mais sont en contrepartie plus fragiles en cas d’intempéries. Cette belle violacée s’appelle ‘Burgundy’, bien qu’elle n’ait pas vraiment la robe du bon vin. ‘Purple Dream’ est très similaire, un rien plus bleue.

Certaines belles sélections sont teintées de pourpre, dont l’exceptionnelle tulipe flammée ‘Rem’s Favourite’ . Elle fait partie de la collection dite tulipes de Rembrandt qui regroupe les créations évoquant les tableaux hollandais. Le site tulipstore.eu propose aussi les très désirables ‘Dutch Heritage’ et ‘Nachtwacht’ ( la Ronde de nuit, célèbre tableau de Rembrandt). Ces tulipes particulières sont toutefois à replanter chaque année. Les rayures qui apparurent dans certaines tulipes en Hollande et étaient extrêmement prisées, étaient en fait le résultat d’un virus.

La deuxième photo est la tulipe ‘Slawa’, un étonnant mélange de pourpre avec des bords qui semblent déteints vers l’orange. Cette sélection est une merveille pour les bouquets mais trop complexe pour les parterres. Il y a enfin un vaste choix de tulipes blanches maculées de pourpre qui s’associent parfaitement à ces dernières: ‘Shirley’, ‘Flaming Flag’ …

Les tulipes noires ont l’avantage de pouvoir s’intégrer tant dans les parterres à couleurs froides (bleu, blanc, gris) qu’à couleurs chaudes (rouge, orange, jaune). Elles se détachent magnifiquement sur les feuillages gris des cardons, des armoises ou des lavandes. Il y a des rappels subtils possibles avec le petit géranium à fleur noire Geranium phaeum ou la centaurée noire Centaurea montana ‘Jordy’, fleurissant également début mai.

Le tuyau du jour est de marquer dès maintenant les espaces entre les vivaces où vous pourrez encore ajouter des tulipes ou d’autres bulbes à l’automne. En mai la situation est encore bien visible. En septembre par contre, les vivaces auront tout recouvert et vous aurez oublié l’emplacement des oignons existants. Pour ma part, je prépare un lot de piquets de gros bambous de 30 cm de long et fais le tour des parterres en les enfonçant partout où je vois un vide. A l’automne je les retrouve facilement pour planter.

Le plaisir de composer des bouquets autour de ces reines de la nuit est inégalable. Je comprends que les peintres de natures mortes aient peint et repeint leurs tulipes inlassablement.

‘Corneille cultivait peu les tulipes et ne s'occupait guère que de l'homme, mauvaise plante bien moins agréable à voir et surtout bien plus difficile à faire fleurir.’

Alexandre Dumas. La Tulipe noire. A propos de l’homme politique Corneille de Wit qui finit lynché par la populace.