La persévérance de monsieur Itoh

Peut-être avez vous remarqué que certains pépiniéristes vendaient des plants de pivoines au prix fort? Cette prime est justifiée, car ces pivoines ne sont pas comme les autres. Il s’agit en fait d’hybrides, dits intersectionnels, réunissant les meilleures qualités de leurs parents. On les appelle pivoines Itoh.

La recherche d’une pivoine jaune équivalente des pivoines de jardin était en quelque sorte le graal de monsieur Itoh (un nom japonais très courant me dit mon amie Yukiko, comme M. Dupont ou Mr Smith). Pour l’obtenir il tenta d’hybrider la pivoine herbacée, Paeonia lactiflora, avec des pivoines arborescentes, de la section lutea, qui produit de petites fleurs jaunes (première photo). Le défi était de taille, car ces deux sections sont génétiquement très différentes et leur floraison n’est même pas concomitante. Toichi Itoh s’accharna et, après des milliers de tentatives de croisement, finit par obtenir une poignée de semences en 1948. Il en sortit quelques plantules saines. Hélàs, le destin voulut que Toichi Itoh mourut avant de voir fleurir ses premières pivoines jaunes, ce qui ne se produisit que 8 ans plus tard, en 1956. Les hybrides qui résultèrent de son exploit furent nommés ‘Yellow Crown’, ‘Yellow Emperor’, ‘Yellow Dream’ et ‘Barzella’.

Un botaniste newyorkais racheta les droits à la famille Itoh et fit aussitôt breveter ses plantes qu'il vendait au compte gouttes à plus de 1000 dollars pièce. Plus tard, une société canadienne se mit à les reproduire par culture cellulaire et les rendit peu à peu accessibles au commerce. Leur arrivée en Europe est encore très récente.

Ces pivoines d’un raffinement extrême réunissent les qualités des deux parents tout en ayant la vigueur des hybrides. Du côté des pivoines arborescentes elles héritent de tiges fortes (mais pas ligneuses) qui rendent le tuteurage inutile: elle ne s’écroulent pas sous le premier orage de printemps. La floraison est aussi étalée, des boutons étant produits successivement. Comme les pivoines de jardin, elles forment une touffe compacte et repartent de la souche au printemps. Elles héritent aussi de leur parfum.

Ce qui vous convaincra toutefois d’ouvrir votre portefeuille pour une Itoh, c’est la subtilité de leurs couleurs. Du chair à la pêche ou à l’abricot, du jaune tendre au bronze, elle semblent avoir été peintes à l’aquarelle sur du papier de soie froissé. Le contraste d’un coeur sombre chez certaines les rend encore plus fascinantes. Elles ont pour nom ‘Pastel Splendor’, ‘Old Rose Dandy’, ‘Cora Louise’, ‘Callie’s Memory’ …; classique et élégant!

Un atout majeur de ces pivoines exceptionnelles qui est rarement vanté par les vendeurs est la beauté de leur feuillage. Dès le moment où les premières tiges sortent de terre début mars, souvent dans des tons dignes des plus beaux coloris d’automne, le spectacle est assuré. Peu à peu ce feuillage profondément lobé se déploie et forme une large touffe chez les plantes de quelques années. Les boutons sont aussi très beaux, une qualité héritée des pivoines arborescentes.

Alors que les pivoines herbacées sont plutôt à considérer comme des fleurs à couper dont la plante n’offre pas grand intérêt une fois que le bouquet est fait (je les cultive donc au potager), les Itoh ont un véritable intérêt paysager. Elles n’aiment toutefois pas être écrasées par des arbustes: donnez leur la place de choix et l’espace vital qu’elles méritent.

Pour ce qui est de leur culture, elle n’est pas exigeante: une bonne terre riche qui retient l’humidité sans que l’eau ne stagne et du soleil pour une bonne floraison. Il faudra toutefois patienter pour voir les premières fleurs sur des plantes qui viennent d’être achetées.

A la fin de l’automne, tout comme pour les herbacées, on rabat toute la plante à une vingtaine de centimètres du sol et on en profite pour mettre un bon mulch tout autour.

Dans un parterre aux tonalités ambrées, j’ai associé quelques unes de ces pivoines (‘Callie’s Memory ‘ et ‘Old Rose Dandy’) à des Heuchera qui répondent à leurs tons subtils: un rien décadent…

Aujourd’hui les jardins sont plus petits et les choix plus grands alors mieux vaut craquer pour une pivoine unique et aristocratique qui vous ravira des années durant.

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