Une bactérie plus puissante que les oliviers centenaires

Depuis quelques années, Xylella fastidiosa sème la désolation dans le sud de l’Italie, dévastant le paysage et l’économie locale. Une préfiguration de ce qui allait nous arriver avec un certain virus…

La région des Pouilles, une région reculée dans le sud de l’Italie, commençait à connaître un certain engouement pour son authenticité préservée. Un de ses enchantements était sans conteste ses champs d’oliviers centenaires, tordus et sculptés par l…

La région des Pouilles, une région reculée dans le sud de l’Italie, commençait à connaître un certain engouement pour son authenticité préservée. Un de ses enchantements était sans conteste ses champs d’oliviers centenaires, tordus et sculptés par le temps. La région produisait depuis des siècles l’huile d’olive pour les lampes à l’huile (l’huile lampante), et cette huile éclaira Londres, Paris et St. Pétersbourg jusqu’à l’arrivée du gaz de ville. D’innombrables pressoirs souterrains fournissaient cette huile particulièrement brillante. On peut dire que la région était en quelque sorte l’Arabie Saoudite de l’époque, ce dont témoigne la splendeur des palais construits dans toutes les petites villes à partir du XVème siècle.

L’arrivée du gaz a mis fin à cet or vert et l’économie n’a plus retrouvé une telle source de richesse mais les oliviers, eux, ont résisté à la tourmente et survécu aux gelées, aux sécheresses, aux tempêtes, et même aux promoteurs pendant des siècles, fournissant une huile alimentaire délicieuse. Jusqu’à l’arrivée en 2013 d’un ennemi invisible, Xylella fastidiosa, décrit par la Commission européenne comme “une des bactéries végétales les plus dangereuses au monde”.

La bactérie mortelle serait arrivée dans une pépinière de plantes ornementales proche de Gallipoli, voyageant sur des plants de café originaires du Costa Rica. Il existe effectivement diverses souches de Xylella en Amérique du Sud et du Nord. Une d’elle a failli mettre fin à la culture de la vigne en Californie à la fin du XIXème siècle et aujourd’hui de nombreuses espèces d’arbres sont touchés, notamment à Los Angeles.

Comment opère cette bactérie tueuse? Elle dépend d’un vecteur, un insecte piqueur-suceur, qui l’introduit dans le xylème de l’arbre (du grec xylon, le bois, d’où le nom de la bactérie) où s’effectue le transport de la sève. Les bactéries s’y reproduisent et bouchent bientôt les vaisseaux, empêchant la circulation de la sève. Le résultat est que les feuilles, puis les rameaux se dessèchent, entraînant en peu de temps la mort de l’arbre entier. On appelle d’ailleurs la maladie le “complexe de dessèchement rapide de l’olivier”.

Détecté pour la première fois en 2013, ce sont, à peine sept ans plus tard, quelque 6,5 millions d’arbres qui sont morts sur des milliers d’hectares. Comment cette maladie a-t-elle pu se propager comme un incendie de cette manière?Tout d’abord, il n…

Détecté pour la première fois en 2013, ce sont, à peine sept ans plus tard, quelque 6,5 millions d’arbres qui sont morts sur des milliers d’hectares. Comment cette maladie a-t-elle pu se propager comme un incendie de cette manière?

Tout d’abord, il n’y a pas de remède connu. La seule manière de contrer une bactérie serait un antibiotique qui n’existe pas. On a essayé d’éliminer l’insecte vecteur par de puissants (et dangereux) pesticides, sans plus d’effet. Le foyer initial aurait pu être contenu au départ par des mesures drastiques d’arrachage et de brûlage des arbres infectés mais les mesures préconisées n’ont pas été mises en oeuvre à temps, ni avec conviction.

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Pour aggraver les choses, Xylella s’attaque à de nombreuses espèces végétales autres que l’olivier, dont beaucoup de plantes indigènes, rendant sont éradication quasi-impossible: le laurier rose (Nerium oleander) qui borde toutes les autoroutes d’Italie, le romarin, certaines lavandes, de nombreux Prunus (dont l’amandier, le pêcher, le prunier…)…

Ici, on voit une plante de Polygala affectée par Xylella. Ce bel arbuste, très courant dans les jardins méditerranéens, est très susceptible à l’infection. La vente et le transport de ces espèces sont dorénavant interdites, mettant les pépiniéristes dans de grosses difficultés.

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En Italie, l’épidémie progresse inexorablement vers le nord, à une vitesse estimée à 2 km par mois.

Aujourd’hui il n’y a pas que la région des Pouilles qui en soit victime; Xylella a conquis toute la Corse, une région (heureusement circonscrite) du Midi de la France. Des foyers sont apparus en Espagne et récemment au Portugal.

A l’aéroport régional de Brindisi, des affiches mettent en garde contre l’exportation de l’organisme et de son vecteur.

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L’arrachage massif des arbres contaminés est préconisé, ce qui n’est envisageable que dans les champs ouverts. Or beaucoup de vieux oliviers poussent sur des terrasses, entre des murets de pierre, et sur des terrains accidentés et rocailleux, excluant cette solution.

Trouver une culture alternative pour ces terrains difficiles paraît très improbable. En attendant la perte de couverture verte sur des superficies aussi vastes entraîne un risque de désertification.

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Beaucoup de recherches ont été faites sur des variétés d’olivier naturellement plus résistantes à l’infection. Deux en particulier ont été identifiées, le ‘Leccino’ et la ‘Favolosa’. De nouvelles plantations commencent à apparaître mais les conditions de culture sont tout autres. Tout d’abord, si la ‘Favolosa’ a le mérite de rester un arbre de petite taille, fructifiant après deux ans et atteignant une bonne production à six ans, ces arbres requièrent des installations d’irrigation importantes, créant à terme un nouveau problème environmental. La cueillette se prête à la mécanisation, ce qui sera aussi un changement fondamental par rapport à une culture restée artisanale. Il va de soi que ces travaux lourds ne peuvent être réalisés que par des grands propriétaires, avec des subsides de l’état.

Une des solutions qui fait l’objet d’expérimentations et a donné quelques espoirs de sauver les arbres monumentaux a été de pratiquer des greffes en écusson d’une variété résistante sur les vieux troncs. Le but était d’essayer de sauver les plus beaux spécimens pluricentenaires. Dans un champ d’essai que j’ai visité, deux ans après les greffes le taux de réussite me paraissait très faible. Le processus est long est onéreux et rien ne dit qu’une petite pousse greffée parviendra à redonner vie à tout un arbre.

Entretemps, le paysage où régnait la monoculture de l’olivier, est devenu spectral…

Suivant de très près l’évolution de cette crise que le Commissaire européen en charge de la santé et la sécurité alimentaire a décrit comme “la plus grave crise phytosanitaire menaçant l’UE depuis des années”, je me suis parfois dit que si une bactérie s’attaquait à nous, êtres humains, on n’en mènerait probablement pas plus large. Je n’imaginais pas que dès 2020 ce cauchemar deviendrait réalité.

Aujourd’hui je ne puis m’empêcher, à titre strictement personnel, d’établir des comparaisons entre la crise provoquée par la bactérie Xylella et la crise du virus Covid-19.

  • La bactérie, comme le virus, ont été importés de l’étranger, conséquence inéluctable de la mondialisation.

  • Dans des délais relativement brefs, les pathogènes ont été correctement identifiés par les laboratoires scientifiques et déclarés extrêmement contagieux.

  • Aucun remède n’étant disponible, il fut rapidement établi que la seule défense possible serait de confiner radicalement l’expansion de la maladie.

  • Ce remède étant si radical, il fut immédiatement contesté comme dommageable et inutile.

  • L’information provenant de sources très diverses semait la confusion et personne ne savait plus à quel saint se vouer.

  • Il se trouva de nombreux spécialistes autoproclamés et très présents sur la scène médiatique pour proposer des cures alternatives qui ne firent que créer de faux espoirs et firent perdre du temps précieux.

  • Des théories complotistes se mirent à circuler et à être relayés sans relâche sur les réseaux sociaux. En ce qui concerne les oliviers, ce furent d’abord des promoteurs immobiliers qui voulaient obtenir des terrains, puis les producteurs du nord qui voulaient étrangler le sud…

  • Les innombrables niveaux de décision, communs à l’Italie et à la Belgique, semèrent la cacophonie dans les directives: communes, province, région, état national, Europe.

  • Les deux crises ont provoqué des ravages économiques dont on ne voit pas clairement l’issue. Dans un cas comme dans l’autre, les inégalités se sont accrues. Les petits producteurs d’huile se retrouvent incapables de trouver une activité alternative.

  • Seuls des programmes d’aide massifs du gouvernement pourront permettre de relancer une activité économique.

  • Enfin, et je terminerai par une note un peu sinistre. La bactérie est devenue endémique dans l’environnement du sud de l’Italie, et le deviendra peut-être à terme dans une grande partie du bassin méditerranéen.

    On ne peut qu’espérer qu’il n’en ira pas de même du Covid dans le monde…


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