Qu’y a-t-il dans un nom?
“Qu’y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons rose, par n’importe quel autre nom sentirait aussi bon.” William Shakespeare
Ce cher Will a bien sûr raison et pourtant, il y a tant à dire sur le nom de la rose, surtout sur son nom botanique latin. D’où viennent ces noms, qui les a inventés, qui les attribue, que signifient-ils, pourquoi les utiliser? Je me propose de tirer parti de ce répit hivernal dans les travaux de jardin pour aborder en résumé et très simplifié ce sujet complexe.
Il y a 20 ans, j’avais fait le constat d’une divergence croissante entre le nombre de gens qui se passionnaient pour les plantes et le nombre de ceux qui possédaient encore des notions de latin et de grec ancien. Je m’étais dit que c’était dommage, car beaucoup d’informations précieuses ou amusantes étaient perdues pour l’utilisateur. De plus, la mémorisation de ces noms complexes est beaucoup plus difficile quand on n’en comprend pas le sens. Quand on sait par exemple que luteus veut dire jaune, la Paeonia lutea n’a plus de secrets … On ne pouvait pas s’attendre à ce tout un chacun aie suivi 6 ans de ce que l’on appelait joliment les humanités gréco-latines, chose encore courante à ma génération. Je me suis donc lancée dans une introduction simple et décomplexée au latin botanique, à la portée de tous les jardiniers et ai eu la chance de trouver Larousse pour m’éditer (et semer à tout vent). La première édition de Le Latin de mon jardin date de 2003 et ne se trouve plus que d’occasion. Une version revisitée et plus accessible fut publiée en 2011 sous le titre Le Latin du jardin. Cette édition bénéficie heureusement d’une seconde vie sur Kindle. La couverture vous promet d’apprendre à parler plantes couramment: ce n’est pas moi qui ai inventé ce slogan commercial! Par contre j’ai bien dit: “Quand les noms prennent un sens, c’est tout le jardin qui prend vie!
Ouvrez n’importe quel livre sur les plantes (ici la Grande encyclopédie des plantes & fleurs de jardin de Bordas) et vous serez confrontés à la problématique des noms. Vous verrez d’abord le nom ‘latin’, écrit en italiques comme Berberis thunbergii, suivi parfois d’un autre mot entre guillemets et en caractères droits comme ‘Aurea’ et enfin, dans certains cas d’un nom commun comme Sauge de Jérusalem. Commençons par ce dernier, le nom courant, vulgaire ou vernaculaire comme on l’appelle plus joliment (de vernaculus, indigène). Ces noms sont la source d’innombrables confusions; ils varient d’une région à l’autre, sont incompréhensibles pour les étrangers et établissent des rapports entre plantes qui n’ont rien à voir. Dans l’exemple ci-dessus, la Sauge de Jérusalem est un Phlomis et n’a rien à voir avec une sauge (n’allez donc pas en faire votre tisane!). De même, rien n’est plus éloigné d’une rose qu’une rose trémière.
Le système de classement de Linné fut appliqué pour toutes les nouvelles découvertes, et se maintint assez solidement pendant 200 ans. La révolution qui chamboula le système fut la découverte de l’ADN suivie de la possibilité d’étudier le génome. Tout à coup, des parentés insoupçonnées apparurent, d’autres furent démenties. Aujourd’hui, on applique un principe très différent, la phylogénie, qui s’appuie sur l’existence d’ancêtres communs. Pour vulgariser à outrance, on recrée un arbre généalogique plutôt que de placer ensemble ceux qui se ressemblent. Ceux qui veulent en savoir plus sur la systématique phylogénétique peuvent faire des recherches sous le nom savant de cladistique.
Ce qui est resté, en revanche, de l’oeuvre de Linné, c’est ce qu’on appelle la nomenclature binominale, ou la convention d’appeler les êtres vivants par deux noms latins: le nom de genre (Rosa), écrit en italiques avec majuscule, et le nom d’espèce, souvent un adjectif (canina), écrit en italiques avec minuscule. En général, ceci suffit pour identifier le suspect, comme chez nous le nom et le prénom.
Les nouvelles recherches génétiques ont eu pour résultat inévitable que l’on reclasse régulièrement des plantes et que leur nom est changé en conséquence. Deux exemples récents: Sedum spectabile est devenu Hylotelephium spectabile et le Sophora japonica est désormais un Styphnolobium japonicum. Un progrès vraiment? Les botanistes n’ont clairement aucune pitié pour les jardiniers amateurs!
Les anglais, toujours eux, ont beau imaginer des manières drolatiques de retenir les noms latins (Up The Garden Path, 1967), le fait est que la tâche n’est pas aisée. J’ai essayé dans mon livre de la faciliter en regroupant les noms par catégories, la forme de la feuille, de la fleur, l’habitat, la couleur, l’utilisation médicinale, les botanistes, les noms mythologiques etc.
Une dernière motivation: retenir quelques centaines de noms latins est un excellent exercice pour vos neurones! Même si j’avoue qu’à l’arrivée du printemps, quand on retrouve son jardin, on constate souvent qu’on est un peu ‘rouillé’…